Le sabre et l’humanité
Préambule
Il me faut appréhender cette chronique avec à l’esprit la recherche, la quête. Comme je le soulignais précédemment mon regard se portera essentiellement sur le sabre en occident.
Pour la commodité de la lecture, je distinguerai trois chapitres.
- Le glaive des origines, celui qui a fait naître le mythe (Excalibur-Durandal).
- La Chevalerie et ses Ordres.
- Le Glaive, outil de transmission.
Aujourd’hui comme hier, le maniement de notre arme, pour celui qui va au delà de la technique, est une quête, chaque période de notre histoire en témoigne. Ma chronique, dans le cheminement que nous nous sommes choisi, va traiter d’une étape intermédiaire, dans ce qui est le mythe du sabre (j’inclus bien sûr l’épée et le glaive, c’est par simple commodité que j’emploi le terme de sabre, sachant qu’il y a néanmoins une différence technique, mais le but de ces armes restent le même).
Le sabre et l’humanité
« Tout au long de l’histoire de l’humanité, on constate dans le monde entier que le sabre, l’épée ou le poignard a souvent été utilisé au cours de différentes cérémonies rituelles. Il est permis de penser que c’est la peur et le respect inspirés par cette arme capable d’ôter facilement la vie, ainsi que la reconnaissance pour cet objet extrêmement précieux à l’époque, qui ont fait naître au cœur de l’homme une conscience particulière vis-à-vis de ces objets de fer…».
J’ai extrait ce paragraphe du superbe livre de K. Yoshimura « Les Japonais et le sabre », pour illustrer les propos qui vont suivre. Pour nous qui cheminons sur la «Voie du sabre », nous n’avons d’yeux que pour le katana (avec juste raison, tant cette arme est belle et efficace) en ignorant que dans notre société occidentale nous avions également un héritage sorti du Moyen-âge (qui pris fin au XVème siècle, alors que le moyen-âge japonais perdura jusqu’au XIXème siècle). Le passage à la Renaissance nous fit abandonner quelques valeurs chevaleresques. Cet héritage s’est quelque peu dilué, mais surtout éparpillé avec le temps. On en retrouve des bribes ici où là.
Ma chronique va cette fois tenter de remonter le temps, nous qui portons en héritage, sans bien en être conscient, « Durandal » et autre « Excalibur ». Sachez qu’en regardant bien on retrouve des bribes de notre passé chevaleresque dans des sociétés qui n’ont en commun que l’usage du sabre ou de l’épée: je citerais certains « rituels » pratiqués dans des universités germaniques, ou la franc-maçonnerie et ses « initiations » et bien sûr l’« escrime » qui, sous sa forme actuelle, nous revient d’Italie. Cette escrime qui vaut à la France tant de médailles sportives. Telle va être la gageure que je me suis fixée. En fait, j’espère que cette chronique vous inspirera, et que vous apporterez votre pierre à l’édifice que constitue le maniement mais surtout la connaissance de notre ARME.
Mensuren
En août 1990, j’avais décidé de passer mes vacances dans une résidence à Uzès, pour la beauté de la région, certes, mais aussi et surtout pour être le plus près possible du stage de kendo organisé par Georges Bresset à Anduze, sous l’autorité de Monsieur Koda. Je quittais ma résidence chaque matin aux aurores et y revenais en tout début d’après-midi, fourbu mais satisfait du travail accompli. Mes allées et venues à ces heures insolites, avec mon équipement en « bandoulière » ne tardèrent pas à susciter la curiosité de l’un des résidents, un allemand d’une cinquantaine d’années, vacancier comme moi, avec qui j’avais pris langue quelques jours plus tôt lors d’une soirée barbecue, il m’avait dit être pilote de ligne, commandant de bord à la Lufthansa. Je répondis volontiers à sa curiosité et lui parlait du kendo. Il me confia que dans sa jeunesse lui aussi avait pratiqué « une sorte » d’escrime. Une escrime seulement en usage dans la partie germanophone de l’Europe, essentiellement Allemagne, Autriche et Suisse alémanique, avec son index il caressa avec une fierté évidente de légères balafres sur son front et sur l’une de ses pommettes. Devant mon étonnement il me dit « Mensuren » (Duel) ! Cela ne m’éclairait pas d’avantage, nous prîmes rendez-vous pour le soir-même, la curiosité avait changée de camp.
Voici donc, autant que je m’en souvienne et dans les grandes lignes, cette pratique bien singulière, en vogue dans certain milieu de la Germanie estudiantine. C’est au XIXème siècle que naquirent les « verbindungen » dans les universités de langue allemande ; sorte d’amicale étudiante (qui n’avait rien d’amicale) compromis entre la Garde de Fer et le bottin mondain estudiantin. Cela correspondait à un renouveau de la pensée nationaliste.
Pour faire partie de ces Burschenschaften littéralement, groupe de jeunes hommes, il fallait (il faut toujours) satisfaire à quelques critères, être d’origine germanique, réussir dans ses études, être bien né (on y retrouve de nombreux nobles), et même s’ils ne l’avouent pas, porter un culte à la Grande Germanie. Ces jeunes hommes se réunissent pour perpétuer les valeurs guerrières de leurs ancêtres (les chevaliers teutoniques ne sont pas loin !), en maniant le sabre.
Voici comment se déroulent ces joutes. Le cursus universitaire de ces hommes devra impérativement comprendre au minimum 4 « Mensuren » (duels), il s’agit de véritables combats, avec un vrai sabre qui coupe, les coups devront être uniquement portés au visage, la seule protection étant une paire de lunettes en acier tenue par de fortes lanières de cuir recouvrant et protégeant les oreilles. Hors cette monture, le visage est à découvert. Les deux protagonistes d’universités rivales sont juchés sur une petite estrade (souvent une caisse), ils sont à la distance qui leur permet de se toucher, entre 1.20m et 1.60m, et à tour de rôle assènent un coup du tranchant de leur sabre; il est interdit de faire une quelconque esquive, seule la parade est autorisée (kaeshi en somme), puis c’est au tour de celui qui a paré de frapper le visage de l’autre. Le corps est protégé avec des gilets matelassés. Ces Mensuren peuvent durer jusqu’à 2 h. Ce temps est réparti en plusieurs « rounds ». C’est le plus résistant, qui à l’usure aura raison de son adversaire, il lui fera une entaille au visage qui sera recousue à chaud, sur l’instant, sans anesthésie, avec du fil et une aiguille, par un étudiant en médecine. Le vaincu pourra afficher fièrement sa balafre et sa bravoure ! Le Mensuren est le but ultime, mais pour avoir le droit d’y accéder, il faudra s’entraîner dur, 3 à 4 fois par semaine, et pendant plusieurs années ; le Mensuren est le couronnement des études.
Voici, très brièvement résumée, cette pratique, qui a toujours cours de nos jours, et qui serait en augmentation en cette période de repli sur soi et surtout de manque de repère.
Surtout chers « Compagnons d’Arme » il ne s’agit pas de juger, mais simplement dans notre tour d’horizon des pratiques du sabre, de savoir que cela existe, n’oubliez pas, amis kendoka, que c’est très certainement grâce à une jeunesse japonaise « nationaliste » accrochée à ses valeurs que nous devons aujourd’hui de pratiquer notre art. En bien des points (je ne veux pas ouvrir une polémique) il n’y a rien qui ressemble plus au nationalisme allemand, que le nationalisme japonais.
Ensuite me confiera Ralph, le pilote balafré (légères les balafres, et non sans charme), toute sa vie durant il gardera des contacts avec cette « élite » qui accède généralement à des postes de grandes responsabilités, car ne sont-ils pas « Waffenbrüder » : frères d’arme ? Le contact sera encore plus fort, si l’un ou l’autre est l’auteur de ces balafres.
Et dire que certains se plaignent d’un do mal appliqué, ou d’un kote un peu brutal…
Le début de la quête
Origines du mythe chevaleresque
Si nous devions dater la naissance de la Chevalerie occidentale nous pourrions nous accorder sur le XIème siècle. Toutefois ce n’est qu’au début du XIIème avec l’apparition du cycle arthurien et de son corollaire, la quête, la recherche du sublime, de l’absolu, qu’elle se sacralisa. C’est Geoffroi de Monmouth qui le premier fit le récit de cette « geste ».
Il est important que nous explicitions notre démarche, nous ne voyons et ne voulons voire dans « la légende » des Chevaliers de la Table Ronde et du cycle arthurien, qu’un mythe, mythe qui a évolué à travers les siècles, en fonction de la pensée de l’époque, aujourd’hui nous dirions du politiquement correct. Savoir si cela a réellement existé sous la forme transmise par le bouche à oreille et les ajouts ultérieurs d’auteurs comme Chrétien de Troyes ou Wolfram von Eschenbach, n’est que secondaire, c’est le symbole qui est important, laissons le savoir aux historiens, nous ce qui nous intéresse c’est la connaissance. Alors ?, me direz-vous, quelle différence entre le savoir et la connaissance ? Plus tard chers « compagnons d’arme », plus tard!
Le cycle Arthurien c’est la quête du Graal, et certainement la naissance de l’esprit chevaleresque en occident, notre « Bushido » à nous. Que dit la légende…Il était une fois… Il y a plus de 2000 ans un homme nommé Jésus qui souffrit sur la croix. De l’une de ses blessures, Joseph d’Arimathie, notable, disciple de Jésus, recueillit le précieux sang dans une coupe taillée dans une pierre précieuse (une émeraude), le Saint Graal. Cette coupe (en forme de ciboire) sauvée et emmenée par Joseph d’Arimathie, se retrouva en Bretagne (on suppose la Grande Bretagne, mais dans cette légende les deux Bretagne sont intimement liées).
Nous voici plusieurs siècles plus tard (Vème ou VIème siècle) à la cour d’un roi nommé Arthur, qui réunissait ses chevaliers (entre trente et cinquante selon les versions, il nous plaît de penser qu’ils étaient trente trois) autour d’une table ronde (démocratique, car il n’y a pas de préséance). Arthur avait été fait roi parce qu’il avait pris possession d’une épée merveilleuse aux pouvoirs magiques « Excalibur », épée qu’il aurait conquise, soit en l’arrachant d’un rocher dans laquelle elle était fichée, soit en la trouvant dans un lac. Arthur donna comme mission à ses chevaliers (Lancelot du Lac, Perceval, Galaad, Gauvin…) de retrouver le Saint Graal et son précieux sang. D’autres personnages viennent enrichir cette « geste », Merlin l’enchanteur, la belle Guenièvre, Viviane…
Vint alors cette Quête, naissance de l’idéal chevaleresque. Avec des idéaux qui ne devaient jamais les quitter. Défense du faible, de la veuve et de l’orphelin, ne mettre son bras qu’au service de la justice, vivre dans l’honneur, la loyauté et l’amour de l’autre.
En dépit de chevauchées mémorables, de combats épiques, de joutes mortelles, ces pieux chevaliers ne peuvent récupérer le Saint Graal, ils l’approchent certes, mais sans pouvoir l’atteindre. Pourtant il se pourrait qu’ils l’atteignent, mais à la condition que leur comportement soit en tout point exemplaire. Ils voient le Graal, sont prêt à le posséder, mais à chaque fois il s’éloigne ; pauvres chevaliers qui doivent encore et encore remettre l’ouvrage sur le métier… Que de souffrances, d’abnégation, d’épreuves endurées, d’abandon de l’ego. Cela ne vous rappel rien ?
Voila « compagnon d’arme » ce qui nous relie à travers les siècles à cette noble chevalerie. Ce que nous voulons démontrer, c’est que les valeurs contenues dans le Bushido, existent également dans notre histoire. Glaive ou katana, qu’importe, nous empruntons la même Voie. L’ennemi ce n’est pas l’autre, il est contenu en nous même, c’est par un travail incessant sur soi même que nous parviendrons à approcher le Saint Graal. Ton Saint Graal, notre Saint Graal, c’est ce men sans cesse répété, ce kamae que nous renforçons, entraînement après entraînement, recherche de l’absolu voila le sens de notre quête, voila ce qui relit le kendoka sincère au chevalier.
Advienne que pourra
Nous voici à la quatrième chronique de cette « geste ». Bien sûr nous devrions évoquer la Chevalerie et sa fière devise : « Fais ce que dois, advienne que pourra » ainsi que les Ordres Chevaleresques, Templiers, Chevaliers Teutoniques, Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem qui, parbleu, savaient manier le glaive. Nous pourrions ouvrir tout un chapitre sur la récupération, fondée ou pas, de l’esprit chevaleresque, par certaines associations initiatiques telles la Franc-maçonnerie, qui intronise ses membres en pratiquant l’adoubement avec une épée. Cette épée nous vient du fond des âges et joue encore un rôle de « transmission » dans notre société en ce troisième millénaire.
Et puis jeter un regard sur l’autre discipline, qui manie le sabre, le fleuret et l’épée, l’escrime sportive, qui, si elle ne descend pas en droite ligne des duels oniriques, porte en elle bon nombre de vertus que nous souhaitons développer. Pour preuve, allez assister à un cours d’escrime, plus particulièrement un cours d’épée, et, fermez les yeux, écoutez simplement les conseils prodigués par le maître d’arme, vous serez extrêmement surpris et pourrez un instant penser que vous êtes dans un dojo.
Oui nous pourrions évoquer ce qui précède et ouvrir d’autres chapitres, mais nous nous étions fixés deux objectifs : Prendre conscience que notre pratique « exclusive » n’a pas pour but de construire un plafond, placé bas au dessus de notre tête, sur lequel il n’y aurait écrit que kendo, même si nous chérissons notre discipline.
L’autre objectif était de nous dire que l’outil, au sens noble, celui des compagnons qui réalisent des chefs-d’œuvre, avait été forgé dans la nuit des temps, qu’il perdurait depuis des millénaires et sous toutes les latitudes, et qu’après avoir donné la mort il nous avait été transmis pour que notre être puisse se hisser à ce que nous portons de meilleur en nous, cette petite étincelle mise là à notre insu, et que, sans cette pratique, nous continuerions d’ignorer (encore une fois, cela n’a rien à voir avec des résultats sportifs, même s’il n’est pas interdit de vouloir vaincre).
Voilà, par crainte de vous lasser, ou pire de nous éloigner par trop de ce que vous pensez être la Voie du sabre nous clorons (pour l’heure ?) sur ce sujet. Compagnons d’arme, regardez-les bien ces quatre lames de bambou et pensez à tout ce qu’elles représentent et au respect qu’elles méritent.
Gérard PONS