Le dojo n’est pas une église
La pratique des Arts Martiaux est une longue quête, un chemin semé d’embûches, mais c’est un lieu commun que de l’exprimer ainsi. Pourtant c’est l’exacte vérité, et il n’y a rien d’irritant à le rappeler. En revanche ce qui m’irrite au plus haut point, c’est lorsque exprimant ma passion pour mes disciplines, aïkido et kendō, je vois mon interlocuteur prendre une mine de dévot et de mettre en avant l’aspect quasi religieux de mon art. Certains ou certaines ont déjà tout compris ; en quelques leçons on doit atteindre « l’extase », pour eux il n’y a pas d’enseignants mais des « maîtres » ; devant notre mine étonnée de tant d’excès, nous lisons alors dans le regard de notre dévot un sentiment de quasi pitié !
Reprenons : Je pratique les arts martiaux japonais depuis 45 ans, plusieurs entraînements par semaine, certains week-ends, les stages pendant les vacances, je suis professeur diplômé d’état, cela a été une partie de ma vie, je dirai sa colonne vertébrale, je ne compte plus les fractures, les fêlures, blessures de toutes sortes. La sueur toujours, le sang souvent, sont présents pendant notre travail. La douleur, l’épuisement sont notre lot. J’ai eu la chance, aussi bien en France qu’au Japon, de m’entraîner avec les plus grands professeurs.
Alors et la mystique dans tout ça ?
Quand on s’entraîne, ce que l’on a en tête, ce n’est pas la recherche d’une quelconque illumination, en japonais satori, mais bien la recherche du geste parfait.
Gloire au travail ! Sans relâche sur le métier les budokas (pratiquants d’art martiaux japonais) remettent leur ouvrage.
A cette étape il n’est nullement question de quête spirituelle, si celle-ci vous a effleuré l’esprit lors de votre premier engagement, elle vous aura quitté pendant les longues séances d’entraînements, du reste nous remplaçons souvent le mot entraînement par celui de « travail ». Le dépassement de soi, la recherche du geste parfait et de son efficacité, sont nos uniques préoccupations.
Le sens de notre rituel est a priori lisible pour le nouvel adepte, puisque « en apparence » il met en avant les égards que l’on doit à nos enseignants et le respect de notre adversaire. Nos disciplines sont issues des arts de la guerre, et même si elles se sont transformées en Voie de Sagesse, le pratiquant doit rechercher avant tout l’efficacité, peut-être même le résultat sportif.
Alors, me direz-vous, tout ce que l’on nous dit sur ces disciplines est un leurre ?
Bien sûr que non ! Mais ce n’est pas le but que l’on doit s’assigner lorsque l’on pratique. Tous ces frémissements que l’on ressent ne viennent qu’après une longue, très longue pratique, durant laquelle on aura cherché à être efficace. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Voila pourquoi les remarques des dévots qui parlent de notre art comme d’une religion, comparent nos enseignants à des gourous, en occultant tout le travail et l’abnégation qui s’y rattachent, m’agacent !
Si certains d’entre nous sont touchés par la grâce, ma foi ils le cachent bien ! Ce sont souvent les pratiquants ayant un faible niveau, ou encore incapables d’exécuter le geste parfait, qui parlent le mieux de la transcendance des arts martiaux, et qui trouvent refuge dans une pseudo philosophie, qui existe, certes, mais qu’ils seront incapables de découvrir.
Il n’y a pas une lumière divine perchée en haut du dojo qui n’attendrait qu’un signe pour choir sur la tête des pratiquants. Voila mon cri du cœur, il faut travailler, travailler encore, avec pour seul objectif la réalisation du travail bien fait, et alors… et alors là, peut être, et dans très très longtemps une étincelle fugace apparaîtra, et je l’espère ne nous quittera plus si nous restons constant dans nos efforts.
Pour que ce geste tant et tant de fois accompli ne soit plus nécessaire pour la réalisation de notre dessin. Voila pourquoi le dojo n’est pas une église, mais bien un atelier.