Evocation d’un match de kendo de légende
J’ai un souvenir très clair du match entre Hanshi OGAWA Shutaro et Hanshi KUROZUMI lors du Kyoto Takai de 1974. C’est l’un des matchs les plus étonnants qu’il m’ait été donné de voir. J’ai pu y assisté depuis le premier rang et je me souviens du frisson d’excitation qui m’a saisi tout au long du match. Ils se faisaient face à une distance un peu supérieure à issoku-itto-no-ma. La pression qu’ils exerçaient l’un sur l’autre était intense. Au bout d’un moment, OGAWA sensei, avec ce kamae caractéristique qui penchait vers l’arrière, baisse son kensen et entre de trois petits pas dans l’intervalle de KUROZUMI sensei, puis il exécute un men parfait comme dans les livres. Le coup a atterri directement sur sa tête presque comme au ralenti. KUROZUMI sensei a incliné la tête avec déférence et ils sont revenus lentement se positionner sur leur ligne de départ.
Les spectateurs qui regardaient subjugués ont soudain fait exploser un tonnerre d’applaudissements en remerciement du spectacle magnifique auquel ils venaient d’avoir le privilège d’être les témoins. Pour être honnête, je ne suis pas sûr d’avoir saisi exactement ce que je venais de voir, mais j’avais le sentiment d’avoir assisté à l’un des plus grands mystères du kendo.
L’année suivante, j’ai rencontré OGAWA sensei lors d’un séminaire à Morioka, et j’ai eu l’occasion de l’interroger à propos du match de Kyoto.
« Oh, celui-là ? Je n’avais même pas conscience de mes actions. C’était comme si je n’étais même pas là. »
Je n’étais pas très sûr de ce qu’il voulait dire, mais j’ai réfléchi à sa réponse pendant plusieurs années. J’en suis arrivé à la conclusion qu’avant l’attaque, pendant l’attaque et après l’attaque il s’était sacrifié corps et âme. Le sutemi ultime.
J’eus également l’occasion d’interroger KUROZUMI sensei à propos du match. « Je n’ai rien pu faire contre ce men. Ce n’était pas un coup dévastateur qui s’est écrasé sur mon crâne, mais une frappe gracieuse et soignée. » Je fus ému du grand respect que se témoignaient ces deux grands maîtres. J’ai rapporté ces propos à OGAWA sensei et il a opiné du chef en silence.