le Men de Maître Narazaki
Les adeptes de kendo japonais prennent modèle sur le men de Narazaki. Il s’agit d’une frappe au « men » qui explose après qu’il ait poussé par le « ki » l’adversaire jusqu’à l’extrémité… Beaucoup de kendokas désirent apprendre le secret de ce men. Il est déplacé de désirer trouver entre les pages d’une revue [Ndlr: il s’agit de la revue KENDO JIDAI, mars 1986] l’exposé d’un secret de l’art qu’un grand adepte a pu constituer pour lui-même en y investissant sa vie entière. Mais devant notre insistance, Maître Narazaki nous a permis d’exposer une partie de son art sur cette revue.
Masahiko Narazaki était kyoshi, 8ème dan lorsqu’il a remporté la première place au premier tournoi de Meijimura en 1977. Ce tournoi est l’un des plus importants entre adeptes de haut niveau au Japon. C[hutaro] Ogawa, 9ème dan de kendo et aussi maître de zen, en a donné l’appréciation suivante :
Les combats de M. Narazaki que nous avons pu voir aujourd’hui sont exactement le zen vivant.
Ce jour-là, M. Narazaki a gagné la plupart de ses combats avec la seule technique de Men. Comme lors de son entraînement quotidien, il a effectué « kiseme » après « kiseme », puis a terminé le combat avec une frappe Men. Quant à ses adversaires, ils ont tous été repoussés par le « ki » et après avoir subi le « seme » de M.Narazaki, ils ont fini par recevoir une frappe au Men. Ils disent tous qu’ils savaient que M.Narazaki allait frapper Men, mais qu’ils ont quand même reçu le coup. Marquer par Men ou Tsuki après avoir mené un « kiseme » jusqu’à la limite est la façon de vaincre la plus difficile à réaliser au kendo. L’expression suivante souligne, à contrario, la hiérarchie des techniques : « il n’y a pas de grand adepte qui soit expert en frappe Dô ».
La réputation du « men » de M.Narazaki n’est pas récente. Déjà à l’époque ou la caméra 8 mm venait d’être commercialisée, le défunt maître Nakano, hanshi 9ème dan, a pris la technique de M.Narazaki comme modèle dans un document destiné à ses étudiants de l’université. Le défunt maître Takada, hanshi 8ème dan, disait lui aussi à ses élèves : « Si vous voulez devenir 8ème dan, allez voler le secret du men de Narazaki ». Un maître 9ème dan qui assistait l’examen que M.Narazaki a passé avec son magnifique men l’a surnommé « le 8ème dan du men ».
M.Narazaki, hanshi, a aujourd’hui plus de 70 ans, mais il reste très jeune. Cela tient sans doute à l’assiduité de son entraînement : chaque jour il commence par un jogging tôt le matin pendant ½ heure ou ¾ d’heure, puis il fait, là ou il se trouve en métro ou en voiture, son exercice des muscles abdominaux : une respiration abdominale destinée à augmenter la puissance de la vitalité fondamentale (tan-ryoku). Il attache une importance particulière au renforcement du bas du corps, le ventre et les jambes. Cet entraînement repose sur l’idée que la baisse de la condition physique que l’on peut interpréter aussi comme une baisse de l’énergie vitale (ki-ryoku) signifie la fin du kendo.
Dans son itinéraire de kendo, M.Narazaki a traversé 10 ans de période blanche. Tous les kendokas de plus de 60 ans ont eu quelques expériences de période blanche en kendo, car pendant plusieurs années après guerre, il fut impossible de pratiquer le kendo même si on en était passionné. Mais il ne s’agit pas de cela pour M.Narazaki. À partir de ses 25 ans, durant une dizaine d’années, il a passé la plupart de son temps en zazen devant le mur de sa prison ou il attendait d’être exécuté. L’esprit de son kendo s’est forgé au cours de cette période.
Tous ceux qui ont combattu avec M.Narazaki à l’entraînement ou en tournoi disent : « Il est fort durant l’entraînement et on a l’impression qu’il grandit lorsque le tournoi devient plus difficile. Mais au fond il ne change nullement. »
d’après un portrait du Maître par Kenji Tokitsu
et avec l’aimable permission du McGill University Kendo Club
remerciement à D. Charlemaine